Face à la barbarie

FACE A LA BARBARIE

C’est sans doute le propre de chaque moment de sidération : je me souviens parfaitement de ce que je faisais à chaque attentat marquant. 11 Septembre 2001, Merah 2012, Charlie Montrouge et Hypercasher janvier 2015, Bataclan et terrasses novembre 2015, Nice Juillet 2016, bien d’autres peut être moins marquants mais avec leur dimension d’horreur impardonnable. Et maintenant vendredi 16 octobre 2020 où Samuel Paty, professeur, a été assassiné pour avoir voulu faire progresser ses élèves. Ces moments restent gravés et deviennent des étapes importantes de nos vies, ces événements de la place publique s’inscrivant dans notre mémoire intime.

Alors quelques considérations en vrac tellement ces moments nous remuent.

Petit avertissement amical : ce billet peut vous agacer à un moment où vous aspirez sans doute à un peu de quiétude. J’y ai mis pas mal de poil à gratter, pour tout le monde y compris pour moi-même. Mais je crois que si nous voulons « vivre ensemble » ou « faire nation » chacun doit balayer devant sa porte et entendre des choses qui l’interrogent. Je précise que n’ai pas de pratique religieuse « orthodoxe ». Je considère que le social prime, même si je suis intéressé par le fait religieux et ne suis pas anti-religieux. Je soutiens la liberté absolue de conscience, le droit pour chacun de croire ou de ne pas croire, la possibilité pour ceux qui ont une pratique religieuse de l’exercer dans le respect des lois de la République. Je discute avec tout le monde, quand la discussion est possible, même si celle-ci peut comprendre une part de désaccord. Par ailleurs, au niveau méthodologique, je n’ai pas indiqué les références précises, j’avais la flemme … Si vous êtes intéressé pour approfondir, vous pourrez faire une recherche, pas Google please mais plutôt Ecosia (ils plantent des arbres) ou Quant (c’est français au moins).

 

En tout premier lieu

Monsieur Bernard, Monsieur Bourdet, Monsieur Chapel, Monsieur Cornuault, Madame Séry : c’étaient mes professeurs d’Histoire et, pour les premiers, d’Instruction Civique. J’adorais leurs cours, je les vivais, je les vis encore.

J’aurais aimé avoir pour professeur Monsieur Paty.

Quand j’écris cela, mon estomac se noue. Que la terre lui soit légère.

Laïcité, des entorses de toutes parts

C’est le grand bal des hypocrites sautant comme des cabris et répétant laïcité, laïcité, république, valeurs, etc. alors que depuis des dizaines années des professeurs se font agresser au moins verbalement voire physiquement par toutes sortes de gens, et sont jetés en pâture à l’opinion publique par de nombreux politiques.

Rappelons d’abord une chose passée sous silence : la plus grande entorse au principe de laïcité dans ce pays réside dans l’existence d’un système d’enseignement privé, essentiellement aux mains de l’Eglise catholique, et qui coûte au contribuable environ 9 milliards d’euros par an. S’il ne me parait pas souhaitable de ré-activer la guerre scolaire (le compromis définitif date de 1992) des coups de canif réguliers existent, provenant de la droite dite républicaine…notamment du père Bayrou lorsqu’il voulut abroger la loi Falloux en 1994. Rappelons que d’autres, à des époques pas si lointaines, se sont opposés à la démocratie et à la laïcité (cf. Jean Sévilla, pas spécialement christianophobe, « quand les catholiques étaient hors la loi » et bien sur de nombreux autres spécialistes dont Pena-Ruiz etc.).

Dans la même veine : le Président de la République qui accepte le titre de Chanoine de Latran, un ancien PR qui se permit de déclarer que le curé sera toujours supérieur à l’instituteur. Je ne vous parle même pas du Concordat en Alsace-Lorraine. Voici aussi quelques exemples récents d’entorses qui n’ont pas scandalisé grand monde :

Bien évidemment, ces entorses, que je considère comme réelles et graves, n’excusent pas celles dont il est question dans l’actualité, mais il me semble malhonnête de les passer sous silence. A moins qu’on ne décide d’une laïcité sélective, ce qui aggraverait la situation générale du pays, et apporterait de l’eau au moulin paranoïaque des islamistes.

Islamistes et laïcité

Les entorses et coups permanents portés à la laïcité par des populations, même pauvres, sous l’emprise de l’idéologie salafiste ou wahabbite, rivales en obscurantisme, ne peuvent pas être acceptés (si vous ne l’avez pas compris : je déteste ces idéologues).

Le phénomène ne doit pas être négligé, mais il doit être pris à sa juste mesure. Ni déni, ni exagération. L’hystérisation ne mène à rien et est contre-productive. Nombre d’acteurs de terrain oeuvrent au jour le jour et trouvent des solutions concrètes aux problèmes rencontrés.

Il faut à mon sens 1) que les autorités affirment certains principes et règles, avec force et dans la durée, en prévoyant des sanctions 2) donner les moyens aux personnes concernées sur le terrain de « tenir la position » (directeurs d’établissements, enseignants, surveillants…), 3) les soutenir en cas de difficulté, 4) faire preuve de discernement et de dialogue lorsque cela est possible.

Ces derniers jours, la parole se libère, tout le monde a ses anecdotes, y compris ceux qui vivent dans les ghettos de riches et qui ont entendu dire que… Malheureusement, la parole raciste se libère aussi.

Mais je le redis ici, en citant Jaurès : « la République doit être sociale ET laïque ». Un adolescent, dont les parents peinent à boucler les fins de mois, devient sensible aux discours de sa famille et de son voisinage, ceux d’un lumpen prolétariat contemporain, pour lesquels l’enfermement religieux est le dernier (sombre) refuge. Et c’est comme cela qu’on refuse de suivre les cours de sciences naturelles, ou d’autres. Je ne suis pas dans la prétendue « théorie de l’excuse », il n’est pas interdit d’essayer de comprendre. Cela n’exclut pas la fermeté.

 

Peut-on critiquer l’islam ?

J’ai écouté de près les interventions politiques du week-end du 17 octobre. Islamistes était le qualificatif le plus souvent utilisés, de rares fois on entendait islamique. Et puis lundi 19, la déferlante est arrivée : musulmans, islam, immigrés, etc. A flot continu. C’était inévitable. Les officiels mesurent leurs mots, les seconds couteaux se lâchent. Les essayistes et certains intellectuels étalent leurs obsessions ou leurs frustrations.

Alors peut-on critiquer l’islam ou est-il « interdit » de le faire ?

D’un point de vue juridique, la liberté d’expression l’autorise et c’est heureux. Dans les faits, cette critique est déjà largement exercée !

Elle figure en très bonne place, statistiquement parlant, dans pratiquement toute la presse nationale et régionale (Le Figaro, Le Point, Marianne…), sur de nombreux blogs (le salon beige pour les cathos, riposte laïque pour les laïques autoproclamés, Europe-Israel pour les partisans d’une alliance du même nom, Yvan Quiniou pour certains marxistes, Onfray pour les nationaux-athées, Boulevard Voltaire, Causeur, etc.). Chez les intellectuels catholiques : Rémi Brague, Marie-Thérèse et Dominique Urvoy, Pierre Manent (avec la recherche d’un « compromis »). Elisabeth Badinter, Kintzler etc. y appellent. J’en oublie bien sûr. A la télé : Bruckner, Finkielkraut, Goldnagel, Onfray, n’en jetez plus…

Personnellement cela ne me gêne pas et je lis ou écoute avec intérêt (enfin ça dépend qui parce que la répétition d’une ânerie donne toujours une ânerie). Certaines sont parfaitement recevables et sont aussi formulées par des intellectuels ou théologiens musulmans. Néanmoins, s’agissant d’un domaine intellectuellement difficile et complexe, je suis toujours surpris par les affirmations péremptoires des uns et des autres. Que de contre-vérités, d’approximations, de certitudes, de généralisations hâtives…. Ils répondent à mon sens à un objectif : la fabrication d’un ennemi dans le fil du fumeux « clash des civilisations » Huntington/Lewis.

C’est donc bien le paradoxe : la critique de l’islam est partout, sature l’espace, et les critiques se plaignent de ne pas pouvoir le faire, d’être obligés de se censurer. Cherchez l’erreur ! Du coup on assiste à une alliance inédite entre des gens qui se disent de gauche et la presse de droite : bienvenue au Figaro sur la route de Valeurs Actuelles ! Il y a un loup.

De la même façon, les influenceurs affirment la bouche en cœur que « l’immense majorité de nos compatriotes musulmans aspirent à vivre en paix » et dans le même mouvement consacrent 90% du temps d’antenne ou d’éditos /mauvais articles à ceux qui foutent le bordel. Faire diversion.

En revanche, il est exact que des excités ont émis à de multiples reprises des menaces de mort. Ma position est sans l’ombre d’une ambiguïté : ceux-là doivent être identifiés et poursuivis en justice par tous les moyens légaux disponibles, éventuellement à renforcer.

La plupart des musulmans qui souhaitent une pratique respectueuse des lois de la République, ne font pas attention à ces émissions ou cette littérature. Ils en ont pris leur parti, et se comportent en citoyens, et se disent qu’avec le temps, toutes ces questions trouveront leur résolution pacifique.

 

Je note aussi que si chacun peut revendiquer la critique des religions, ce que je fais à titre personnel, seules dans la pratique sont critiquées les religions catholique et musulmane. De plus, il me semble normal dans une société démocratique que ceux qui sont critiqués puissent répondre, dans le respect des règles démocratiques, et si possible autrement que via des bouffons qui parlent à peine français ou n’ont aucune légitimité intellectuelle.

Lors de son discours du 2 octobre, le Président de la République, se mêlant du religieux, ce qui contrevient aux principes laïques, appelle de ses vœux l’émergence d’un islam des Lumières. C’est une vaste question évoquée depuis plusieurs années notamment par Abdelwahhab Meddeb. Si vous avez des contacts avec le PR, annoncez-lui la Bonne Nouvelle : cet islam existe déjà ! C’est celui de tous ces gens que vous croisez au jour le jour, et qui vivent leur foi et leur religion en harmonie avec les lois de la République et la société. Par définition vous ne les remarquez pas. Ils sont peut-être encore minoritaires, et encore je n’en suis pas du tout certain. Tous ceux-là sont en fait en avance sur les théologiens. Ce sont ces derniers qui devront, après coup, trouver les bons arguments théologiques, s’ils veulent garder des fidèles… Réfléchissez-y !

 

Comment se comportent les musulmans ?

Au final, ce qui peut être demandé aux musulmans de France est simple : le respect des lois de la République, comme pour n’importe quel citoyen. Cela implique des réflexions et des évolutions parfois difficiles, mais rarement impossibles. C’est l’affaire des théologiens. D’autres courants que ceux présents en France y sont arrivés.

Ensuite, on peut discuter des normes sociales, dont je conçois qu’elles soient importantes dans le quotidien des personnes qui subiraient la fameuse (fumeuse ?) « insécurité culturelle ». Le débat est complexe et protéiforme, portant aussi bien sur le port du voile que sur les interdits alimentaires ou les mosquées avec minarets. Est-il impossible à résoudre ? La norme sociale englobe un certain nombre de comportements qui sont évolutifs et qu’il faudrait analyser au cas par cas. La question des interdits alimentaires par exemple s’est aussi posée pour les Juifs, notamment au moment de la Révolution Française (cf. l’excellent essai de Pierre Birnbaum « La République et le Cochon ») et n’a pas empêché qu’ils soient citoyens français.

Au fait vous en connaissez des musulmans ? Parce que vous avez tous un ami noir, mais un ami musulman ? Pas encore trouvé, un peu d’appréhension ? Et bien dans ce cas lisez le bouquin de Claude Askolovitch, il est allé vers eux, au risque de se faire vertement critiquer, bravo à lui !

Regardez autour de vous : dans la crise sanitaire actuelle nombreux sont les soignants, de culture musulmane, qui sauvent des vies à l’hôpital, certains étant même décédés du Covid 19. Beaucoup aussi ont livré vos courses pendant que vous étiez à l’abri…Vous ne l’aviez pas remarqué ? Il y a aussi ceux que vous ne voyez pas : engagés dans les forces spéciales, militaires en opération sur des théâtres  extérieurs…pour votre propre tranquillité !

 

Et la politique dans tout cela ?

Alors chacun joue sa partition. Le PR veut se représenter en 2022. Aux ministères régaliens il a nommé des gens de droite (les masques sont tombés progressivement) : sa gauche ayant été cocufiée (amitiés sincères), son réservoir de voix est à droite. Vite des gages. Pour ne pas prêter le flanc aux critiques de LR et du RN, il donne l’impression de s’activer, ferme ceci, interdit cela… « La peur va changer de camp » c’est la même chose que « nous allons terroriser les terroristes » de feu Pasqua, l’accent corse en moins.

Il faut se méfier des effets d’annonce. Seul le temps est juge de l’efficacité d’une politique. Peut-on considérer que nous sommes en guerre ? Si c’est le cas, il faut donner les moyens et budgets nécessaires aux forces de l’ordre (renseignement compris), à l’armée, la justice, l’enseignement. Pour ma part, je me méfie toujours des législations d’exception. Les moyens doivent être mobilisés dans le cadre d’une politique générale.

La droite et l’extrême-droite (sa vraie nature n’est pas le rassemblement) aboient. On peut dire qu’ils sont aussi dans leur rôle.

Il est fait à la gauche un procès, injustifié à mes yeux, en angélisme vis-à-vis de l’islam, des musulmans, de l’immigration, de la sécurité, etc. Je voudrais quand même rappeler l’hypocrisie et l’amnésie de la droite par le biais de quelques faits décisifs.

1974 : Giscard conclut avec les pays d’origine des musulmans le dispositif des « imams détachés ». 1976 : Chirac élargit le regroupement familial.

2002/2003 : Sarkozy, fait de l’UOIF, branche française des Frères Musulmans, son partenaire privilégié dans la structuration de l’islam de France (discours à leur congrès annuel au Bourget le 19 avril 2003).

2003 : Sarkozy supprime la police de proximité.

2008 : le même supprime les Renseignements Généraux.

Sauf erreur, Giscard, Chirac et Sarkozy n’étaient pas de gauche mais les politologues professionnels pourront sans doute nous expliquer le contraire !

Donc que chacun balaye devant sa porte.

A l’intérieur de la gauche c’est le temps des règlements de compte et de la chasse aux sorcières.

Quelques mots sur l’ancien premier sinistre Manuel Valls qui occupe le haut de l’affiche avec d’évidents passe-droits. Après Ayrault, Hollande a nommé Valls en dépit de toute cohérence politique puisque sa ligne était ultra-minoritaire (5% aux primaires). Son seul « fait d’arme » a été la loi travail, dite El-Khomry, prémice aux lois Pénicaud…Surtout, Monsieur Valls s’est vanté des relations stratégiques avec l’Arabie Saoudite, terreau du wahabbisme qui a instillé son poison dans le monde entier grâce à ses missionnaires et ses pétro-dollars. Marginalisé en 2017, il tente d’être maire de Barcelone en s’alliant avec une droite douteuse. Battu en Espagne, il revient en France, omniprésent sur les plateaux TV pour donner des leçons, bien évidemment en préparation de 2022. On ne demande pas à ce genre d’individus de faire preuve de décence…

Ce qu’il reste du Parti Socialiste essaie de se défendre devant les procès en complaisance devant le « communautarisme ». Les Verts font de même. Cela sent l’Inquisition et la chasse aux sorcières.

BFM et CNews ont grand ouvert leurs plateaux à la bruyante camarilla vallsienne du Printemps Républicain, du Parti Radical de Gauche, de l’autoproclamé Comité Laïcité République…dont le centre de gravité se situe vers le 9e arrondissement. Ils profitent des événements pour déstabiliser l’Observatoire de la Laïcité et imposer leur vision. Je connais ce courant d’idée, j’en ai fait partie. Il s’agit d’une « minorité agissante ». Drapés derrière un universalisme de façade, ces gens ont du mal à masquer leur mépris et leur condescendance, se sentant investis d’un devoir de civiliser et de libérer ceux qui ne le seraient pas, embauchant au passage quelques « native informant ».

J’ajoute que ce qu’ils reprochent aux personnes issues des colonies, c’est de chercher leur propre voie, de prendre la parole, et de se libérer tous seuls. Des anciens colonisés qui refusent d’être invisibles et se mettent à penser, mais où va-t-on ?

 

La faute aux islamo – gauchistes ?

Alors les mêmes cette semaine ont sonné l’hallali hystérique sur les islamo-gauchistes jusqu’au niveau gouvernemental. Il leur fut reproché jusqu’à une responsabilité (intellectuelle) directe dans le passage à l’acte des assassins de Charlie Hebdo (l’omniprésent et suffisant Bruckner depuis son sanglot de l’homme blanc). Monsieur Blanquer, proche de l’Opus Dei, dont chacun sait la proximité avec le franquisme et les anciennes dictatures sud-américaines, a même attaqué frontalement les islamo-gauchistes, les « théories indigénistes » et l’Université. Brandir des fatwas à finalité infamante ne grandit pas ces ayatollahs et ne contribue pas à la clarté des débats…

Les terroristes suprémacistes blancs (par exemple : 2011- 67 personnes tuées par Anders Breivik à Oslo et Utoya, 2019 : 51 morts à Christchurch par Brenton Tarrant) ont pu se réclamer de Finkielkraut ou de Renaud Camus. A-t-on évoqué la responsabilité de ces « intellectuels » rabougris devant le tribunal médiatique ? Le premier continue à avoir table ouverte dans toute la presse, tout en se plaignant d’être martyrisé en son identité malheureuse.

Le terme islamo-gauchiste a été inventé par Pierre André Taguieff vers 2002. Quand on voit ce que devient celui-ci, ancien progressiste remettant dorénavant en question les logiques d’émancipation (cf. https://www.mediapart.fr/journal/culture-idees/261019/derriere-taguieff-la-derive-editoriale-des-editions-du-cerf), en complicité avec Jean-François Colosimo, lui-même « parrain » d’Eugénie Bastié, Alexandre Devecchio ou Mathieu Bock-Côté (qui ont tous les trois leurs ronds de serviette chez Praud et consors), on pourrait être en droit de se demander dans quel courant d’idée se situent ceux qui utilisent le terme.

Alors que leur reproche-t-on à ces maudits « islamo-gauchistes » ? C’est très simple. En premier lieu de considérer que la question sociale est centrale. En second lieu de lutter avec les personnes issues des anciennes colonies, qui se vivent comme « racisées », en vue de leur égalité totale, en droit et en fait, visant ainsi l’idéal universaliste républicain, dans une démarche de compagnonnage et non de paternalisme surplombant. En troisième lieu de ne pas désigner les musulmans comme boucs-émissaires des problèmes du pays, considérant que ceux qui le souhaitent ont droit à une pratique religieuse dans le respect des lois de la République.

En quoi ont-ils armé intellectuellement les terroristes ? En rien, absolument rien. Une réponse brillante a été apportée par Monsieur Alexis Dayon, professeur de philosophie ici : https://blogs.mediapart.fr/alexis-dayon/blog/221020/toi-qui-mappelles-islamo-gauchiste-laisse-moi-te-dire-pourquoi-le-lache-cest-toi.

Et puis que je sache les prétendus « islamo-gauchistes » ne sont pas un parti politique et n’ont jamais été au pouvoir…Que ceux qui ont gouverné assument leurs responsabilités.

 

Vivre ensemble ? Mais comment ?

Quand j’entends une éditorialiste d’un grand magazine parler du vivre-ensemble la bouche en cœur, je la vois dans son 4*4 devant le Crillon en train de chercher une place pour se garer… (ce n’est pas mon imagination, c’est une anecdote réelle).

Nous ne vivons pas ensemble et nous n’avons jamais vécu ensemble. La répétition de cette expression comme un mantra est une façon hypocrite de désigner les musulmans (et les personnes racisées dans une certaine mesure) comme un groupe à part dont la volonté serait de vivre séparés du reste du corps social et partant d’en menacer l’unité. C’est oublier trois dimensions essentielles.

D’abord que les musulmans ne constituent pas une communauté unifiée à l’intérieur de laquelle s’exercerait une espèce de solidarité confessionnelle : ils occupent des positions sociales très différentes et ont des attitudes très différentes vis-à-vis de leur religion ou origine supposées. Ceux des musulmans dont on nous remplit les cerveaux sont ceux qui ont une pratique religieuse « extravertie ». Même ceux-là sont très divers. Et les autres vivent comme monsieur et madame tout-le-monde, certains sont même athées, d’autres agnostiques, d’autres croyants, ou pratiquants, ou encore sans pratique religieuse.

Ensuite que les différenciations sociales ont toujours induit des différenciations territoriales. Je simplifie : les pauvres d’un côté, les riches de l’autre, et quelques zones tampons où ils peuvent se côtoyer furtivement et se regarder. Les uns pour apprécier de voir que tant de gens sont en dessous d’eux, les mépriser ou au mieux leur donner la pièce. Les autres pour culpabiliser d’être pauvres ou pour se dire que la lutte est usante ou qu’elle est inutile et qu’il faut donc rester à sa place…

Pour finir, contrairement à ce que prétend le PR, la France a rarement été un bloc. Dans son histoire de France, Marc Ferro parle du « génie de la guerre civile » et développe de nombreux exemples : les guerres de religion, la Révolution Française, la lutte entre la gauche démocratique/sociale et la droite conservatrice/catholique, la guerre scolaire, les conflits syndicats/patronat, la résistance et la collaboration, la colonisation puis la décolonisation, etc.

On peut le regretter (ou pas) mais le peuple français fonctionne dans la dialectique et le rapport de force. Contrairement aux Allemands et aux nordiques, la recherche du consensus n’est pas dans l’ADN français. Par conséquent prétendre que le « nouvel arrivant » doit tout prendre sans discussion de la culture et de l’histoire ne correspond tout simplement pas à la tradition vécue du pays. Tout le monde discute, argumente, combat, manifeste, souvent avec excès. Mais, et c’est important, au bout d’un moment, des compromis peuvent être trouvés sans que des valeurs essentielles ne soient remises en cause, au rang desquelles la liberté d’expression, elle-même encadrée par des lois.

 

Peut-on se réconcilier et faire front ?

De tels événements ébranlent une nation entière. Personne n’a le monopole de l’émotion et de la colère. Mais la colère est mauvaise conseillère. Il faut garder son sang-froid et éviter de s’invectiver en cherchant des responsables intellectuels ou que sais-je encore. Il serait facile de retourner l’invective.

Ne nous berçons pas d’illusions : il y aura d’autres attentats. Le combat sera long car une idéologie se combat dans le temps long. Marcel Gauchet parle de siècles, je le trouve du coup un peu pessimiste, nous aurons avant cela à nous occuper des Chinois (je suis sérieux !).

Pour essayer d’éteindre progressivement la « recevabilité » par certains des idéologies mortifères, il faut bien sur associer des mesures de nature très diverses et qui se complètent : affirmation des principes incontournables en démocratie, sécurité, ré-investissement de tous les territoires, justice sociale, éducation, urbanisme, contrôle des frontières, politique de nationalité, etc.

Il faut aussi contrer ces idéologies au niveau international jusqu’à leurs foyers de production. Cela devrait nous amener à reconsidérer certaines alliances géopolitiques, dont de trop nombreux dirigeants se sont vantés, les mêmes qui aujourd’hui crient au feu (je vous conseille par exemple de regarder l’excellente émission sur l’Arabie Saoudite actuellement sur Arte…)

Le chemin d’une éventuelle réconciliation, que personnellement j’appelle de mes vœux, est forcément difficile tant nos histoires, nos mémoires et nos conditions sociales sont différentes et peuvent nous opposer, et tant la République sociale a été abimée. Il existe des conditions et une démarche pour une réconciliation. La plus connue reste celle initiée par Nelson Mandela à la fin du régime d’apartheid, et qui a permis de maintenir l’unité de l’Afrique du Sud. Cela implique des efforts de la part de chacun et de l’Etat. Sommes-nous prêts à les faire, pour construire le monde de demain, qui ne pourra de toute évidence plus être le même ? J’ai parfois des doutes mais nous n’avons pas d’autre alternative que d’essayer.

Le pire serait d’entretenir la suspicion et la zizanie entre des communautés réifiées et antagonistes : c’est exactement le but recherché par les terroristes.

Et on a tendance à l’oublier : les crises sociale et environnementale sont toujours là.

De longs et pénibles efforts nous attendent encore.

 

 

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