La vie aux temps du Corona

Oui je l’avoue assez pâle imitation du titre de l’immense Garcia Marquez qui signa « l’amour aux temps du choléra ». N’est pas Marquez qui veut, mais peut s’exprimer celui qui le souhaite, et nous sommes nombreux à ressentir le besoin de dire « ce qui m’habite et qui m’obsède » (Aragon puis Ferrat).

Confiné – Jours 1 à 11

Les débuts sont joyeux. On a fui comme en 40 avant la date limite et c’est déjà une dérisoire première victoire. L’air et l’espace de la campagne devraient nous rendre le confinement…moins confiné. On est maintenant dans ce temps qu’on n’a jamais connu, quelque part entre le week-end prolongé et les vacances, scandé quand même par des plages centrales de vie professionnelle, sans les déplacements. On a de la place, les plus jeunes mettent de l’ambiance, les copains balancent toutes sortes d’articles, d’images, de vidéos, que sais-je, qui font rigoler ou s’indigner ou applaudir, c’est selon. La province offre espace, perspective, verdure. Le confinement y est relatif…La seule souffrance, qui en fait ménage le corps, c’est ce verre qu’on ne peut pas s’offrir au comptoir du bistrot. Les bistrots font la France, les bistrots font nos vies. L’Affligem bien fraîche, accompagnée des olives au piment et à l’ail, ça réconcilie avec tout, même avec les propos de comptoir, que seules les mauvaises langues prennent de haut. On patientera. En attendant c’est Corona !

Télétravail

C’est le nouveau mot du monde connecté. Les branchés de la mondialisation connaissent depuis longtemps les fameux « remote » et « flex ». On travaille…Oui, un peu, beaucoup, rarement passionnément, tellement on vit (plutôt bien) de jobs à la con. On enchaine les calls, les chefs font un report de la « war room » du matin. On cherche à avoir des infos « en avance » que d’autres n’auraient pas encore, histoire de se sentir initiés et importants (j’ai la cousine d’une tante qui travaille au bistrot près du Ministère, et ben elle a entendu deux personnes en costard dire que…). Les objectifs professionnels paraissent importants et dérisoires en même temps. Que valent un chiffre d’affaire (le totémique « forecast ») ou une levée de fonds quand la menace sur la vie n’a jamais été aussi forte pour des gens qui n’ont pas connu la guerre ? Que vaut l’ordre d’un chef ? D’ailleurs, certains sont sérieusement malades. En réchapperont – ils ? Seront-ils meilleurs à leur retour ? Les repères sont bouleversés.

Dans tous les cas, ça tient plutôt bien au niveau de la technique, de temps en temps ça grésille un peu, l’image ralentit, surtout que Face de Bouc, Pas Net FLix, you you tiube sont très sollicités. Mais nous avons les experts en dernier rempart. La modernité technicienne frémit devant un virus nanométrique mais ne faiblit pas. Miracle de la modernité, lutte désespérée, aveuglement, fuite en avant ? Time will tell. 

Condamnés au travail

Face au virus, les riches et les pauvres deviennent-ils égaux ? L’idée a couru et court toujours un peu, appuyé par les appels à la responsabilité individuelle, qui ont l’avantage corrélatif de dédouaner le politique… C’est oublier que les riches ont la possibilité de fuir. Ils ne s’en sont d’ailleurs pas privés. Haro sur les TGV ou mieux la belle bagnole chargée comme en plein mois d’aout. Les côtes de l’Atlantique ont vu se pointer ceux-là mêmes qui fustigent les réfugiés fuyant la guerre au Moyen-Orient. Et comme l’argent et/ou la naissance autorisent l’arrogance, ces exilés des beaux quartiers emplissent leur caddies et toisent les autochtones « fermez vos gueules, on vous fait vivre, avec ou sans virus » (au fait achètent-ils beaucoup de PQ ?). C’est qu’il en faut des provisions pour trinquer avec tous les potes descendus eux aussi, et qu’on retrouvera demain à la fraiche pour une ballade sur les sentiers où il n’y a pas un flic. Juste avant de se connecter au 1er call avec son Chief Fucking Officer.

Pendant ce temps-là, d’autres sont (peu) aimablement priés d’aller à leur postes (assistantes maternelles, agents de sécurité, caissières, routiers, livreurs, ouvriers du bâtiment (challengeons-les puisqu’il ne veulent pas travailler). Tout l’inverse des premiers de cordée. Filons la métaphore guerrière : l’état-major à l’arrière, la piétaille en première ligne, la caste des donneurs d’ordre aux abris.  Les forçats du capitalisme doivent monter au front. Le cynisme va jusqu’à l’octroi d’une prime misérable à ceux qui ont une conscience ou sans doute, plus prosaïquement, pas le choix. Il va aussi jusqu’à faire passer une sorte de loi d’exception autorisant une durée de travail hebdomadaire de 60h. Le lumpenprolétariat doit payer, pendant que les évadés fiscaux étalent leur générosité d’opérette en finançant quelques masques et un peu de gel, tout en encaissant leurs dividendes.

Mention particulière aux aides-soignantes, infirmiers, médecins (qui sauvent l’honneur de la bourgeoisie). Fustigés parce que prétendument trop dépensiers depuis des années, plus ou moins aimablement bousculés dans les manifestations, toisés par la prétention libérale, les voici enfin reconnus dans leur dimension essentielle : l’attention et le soin aux autres. Même aux policiers qui les ont frappés.

Suis-je atteint ?

C’est pas tout ça mais moi là-dedans, qu’est-ce que je deviens ? Un matin on se réveille, le nez qui pique, l’impression de quelques courbatures et céphalées. Ne serais-je pas oppressé là, au niveau de la poitrine ? On appelle le SAMU, débordé par les appels. Au bout du fil une jeune médecin, souriante, méthodique et qui vous rassure. Prenez votre température deux fois par jour, et du paracétamol en cas de fièvre. Le lendemain on court acheter un thermomètre, la pharmacie est dévalisée (40 vendus en quelques heures), éteignez la télé monsieur, et restez calme, elle est adorable ma pharmacienne (vraiment). Mon restaurateur se demande ce qu’il va faire. Pas de tagine pendant deux mois, j’hésite quelques secondes. Mais mon choix est vite fait : va falloir résister. Ni une ni deux je me tire dans ma campagne. Là-bas un masque porté dans une petite rue tranquille me vaut des regards mi-intrigués, mi-craintifs. A la pharmacie j’use d’arguments familiaux pour faire le stock de paracétamol, je la connais bien la dame, mais elle a des consignes et un masque, et je la comprends. Depuis mon univers s’est réduit. Je ne me plains pas, il y a pire, et chez moi il y a de la bonne humeur et des éclats de rire. Skype, les audios, Whatsapp, tout ça fonctionne à fond et c’est ben pratique ma bonne dame. Dimanche ma poitrine m’envoie de mauvais signes, vite un rendez-vous en télémédecine. Ça marche bien ce truc. Le médecin, bourru affectueux, me rassure. Si j’ai choppé le truc, c’est probablement une forme légère, sinon rien d’autre qu’un banal syndrome grippal. Ouf, je suis un peu plus serein, j’ai envie d’aller me balader et prendre une bière. Mais non, tu n’as pas le droit, non c’est non !!! D’accord, j’obéis. Alors je me remets à regarder les poignées de porte et les robinets d’un air soupçonneux. S’il se nichait là ? Objets inanimés, avez-vous donc une âme (Lamartine détourné) ? Sinon, qui se souvient de cette couverture de l’Express au mitan des années 70 : elle montrait Howard Hugues, milliardaire excentrique, l’apparence hirsute, devenu obsédé par la propreté au point de se faire livrer chez lui au travers d’un sas, en combinaison stérile ?

 Tout s’efface ou presque…

….de ce que nous appelons habituellement l’actualité. Les échos de ces milliers de morts, dans les mails, les fils d’actu, les conversations. Emportés dans cette tourmente presque irréelle. Ce médecin au visage souriant, à l’orée de sa retraite, et qui aidait ses collègues. Cette jeune adolescente de 16 ans partie en quelques jours…Et Manu Dibango, qui avait si bien joué de son saxo pour des générations. Privé de souffle par cette particule nanométrique. La vie est absurde. Surement retrouvera-t-il là-haut Mickael Jackson et scelleront-ils une réconciliation ? Il y a tant de gens à faire danser. Paradis, enfer ou purgatoire, qu’importe : Makossa ! RIP Manu. Pour l’instant pour nous cela ressemble plutôt à un film de science-fiction, qu’on regarde en général bien au chaud affalé dans son canapé. La différence c’est que nous sommes dans le film cette fois, et qu’on peut même se méfier du canapé.

Décider en politique

C’est peu dire que ne je suis pas un fan de l’actuel pouvoir, après avoir longtemps envisagé de le soutenir. Toutes ses décisions avant crise allaient dans le même sens : politique de l’offre, libéralisation de tous les secteurs de l’économie, prédominance des logiques de marché, accélération revendiquée des réformes libérales, approche gestionnaire, notamment dans le domaine de la recherche et de la santé. Il doit donc assumer les conséquences de ses choix, et le cas échéant revendiquer ce qu’il considère comme ses réussites.

Je modérerai néanmoins mes critiques sur sa gestion de cette crise (ou catastrophe ?). Ceux qui doivent ou ont dû prendre des décisions, notamment dans leur vie professionnelle, savent la difficulté de l’exercice. Le temps est souvent compté, les données disponibles évoluent (parfois très vite), les conseils des experts sont parfois contradictoires, et les choix présentent toujours des avantages et des inconvénients. Après coup, il y a toujours des donneurs de leçon, il aurait fallu faire comme-ci ou comme-ça, je vous l’avais bien dit…La critique est facile, l’art est difficile. Néanmoins, certaines choses peuvent choquer :  la déclaration de l’ancienne ministre de la Santé sur l’évaluation fin janvier de l’ampleur de la crise à venir, la pénurie de matériel de protection pour les personnels de santé… Le balancement permanent entre un confinement quasi-total et le maintien d’une activité économique non essentielle interroge, même si on peut comprendre le souci de préserver la production. Pour ma part, je ne me mêle pas des débats d’experts, j’applique les consignes et j’aide dans la mesure de mes moyens. Il sera temps de discuter ensuite, quand une vie démocratique normale sera possible (enfin faudrait pas trop verser dans l’autoritarisme et les mesures d’exception qui deviennent permanentes hein ?).

 Sommes-nous en guerre ?

Dans un petit essai commis en mai 2016, Jean-Yves Le Drian, ministre phare de l’actuel gouvernement et politique avisé, se demandait « qui est l’ennemi ? » (1). Il rappelait que la France n’a plus d’ennemi héréditaire, mais « seulement » conjoncturels (je fais simple). Dans l’ordre d’importance des menaces donc : le terrorisme djihadiste (dont Daech). Puis, sans véritablement les désigner, des Etats comme la Chine, la Russie, la Corée du Nord, voire des puissances de 2e ou 3è rang, les conflits ne se déroulant plus sous des formes conventionnelles – dans lesquels l’Occident est à peu près assuré de sa victoire militaire – mais sous forme de combinaisons de modes opératoires : guérilla, frappes aériennes, cyberattaques, armes chimiques ou bactériologiques, attaques terroristes, médiatiques, commerciales ou culturelles…Nulle part, il ne fait mention d’un virus ou d’une pandémie comme d’un ennemi. Vu sous ce prisme, l’anaphore présidentielle du « nous sommes en guerre », lointain écho du « moi Président » de son prédécesseur et facilitateur, résonne de façon étrange. L’ennemi serait microscopique, doté du don d’ubiquité, se reproduisant à milliards et cheminant via les circuits (ultra)rapides de la mondialisation, aériens, terrestres ou maritimes. Pas de déclaration de guerre, ni de revendication, mais des attaques mortelles sur des humains, une panique généralisée puis une crise économique quasi-certaine. Pourquoi donc ce vocabulaire guerrier ? La désignation d’un tel ennemi aurait-il pour objectif de faire taire la critique (2) ? C’est une hypothèse. Pour ma part, je ne me sens pas en guerre, mais responsable et solidaire.

Qu’est ce qui nous arrive ?

Et s’il s’agissait d’une crise de civilisation ? Je mets de côté les considérations limites du sieur Onfray sur les habitudes culinaires des Chinois (3), oubliant peut-être que, nous Français, bouffons des cuisses de grenouille et des tripes de cochon… Il faut rester prudent mais il semblerait qu’une des causes possibles du passage de ces virus de l’animal à l’homme résiderait dans la destruction des éco- systèmes, notamment forestiers, sous la double pression de la démographie et des monocultures. Ces éco -systèmes étant de ce fait considérablement déstabilisés, certains animaux, dont les chauves-souris, se retrouveraient dans une plus grande promiscuité avec les hommes, notamment dans les métropoles, et la transmission DES virus facilitée, dans certaines conditions (4). Cela ne va pas vous rassurer : d’autres pandémies sont probables.

Cela pourrait se passer ailleurs qu’en Chine. Même s’il y a peu de doute sur le lien avec la bataille engagée par ce pays pour le leadership économique au sein du capitalisme mondialisé. Dans cette course qui engage de nombreux acteurs, dont la France, les considérations économiques passent, malgré les belles déclarations, avant toute préoccupation sociale, sanitaire ou environnementale. De leur côté, les Etats-Unis et l’Europe tentent, de façon bien compréhensible, de conserver leurs positions. Subséquemment, au niveau des Etats, les logiques libérales n’ont quasiment pas d’autre objectif que de maintenir chaque pays dans cette course et selon les mêmes critères, sous la « surveillance bienveillante » des grands argentiers internationaux (BCE, Federal Réserve, FMI, Banque Mondiale…). Cette course est mortifère.

Peut-on changer de modèle ?

C’est pourquoi les soudaines prises de conscience du pouvoir pour un changement de priorité après la crise apparaissent comme des annonces sans lendemain. Et pour les influenceurs qui font acte de contrition – tardivement et du bout des lèvres – les appels à une consommation vertueuse, privilégiant les circuits courts, la production locale et écologique, une certaine sobriété, la sanctuarisation de secteurs comme la santé ou la recherche, résonnent comme des propos de circonstance, tant leur adhésion et leur soutien aux politiques menées depuis plus de 30 ans auront été constants et aveugles. Je ne m’attarderai pas sur la prétendue « Union Européenne » où les égoïsmes ont encore une fois montré la désunion.

« Il faut que tout change pour que rien ne change » disait le personnage de Tancrède dans Le Guépard de Luchino Visconti. La crise passée, tout repartira comme avant.

Tout juste peut-on espérer un changement qui serait impulsé par les actions collectives des associations, ONG, syndicats et autres acteurs de terrain. Il faudrait pour cela une pression inédite et dans la durée. Changement profond ou à la marge ? Je ne suis pas très optimiste.

Courage fuyons (à la maison) et surtout take care !

  

  1. Jean-Yves le Drian, Qui est l’ennemi ? Les Editions du Cerf, Mai 2016, 5€
  2. Une analyse intéressante sur le blog de Pierre Merle, sociologue : https://blogs.mediapart.fr/pierre-merle/blog/260320/nous-sommes-en-guerre-les-profits-politiques-de-la-rhetorique-guerriere. Consulté le 27/03/20
  3. Lien sur le site les Crises.fr : https://www.les-crises.fr/un-virus-mondialise-par-michel-onfray/. Extrait : « La Chine n’aurait pas pris le risque d’être associée à une mauvaise image planétaire (le pays d’où sort un virus inconnu et mortel associé à des pratiques culturelles atypiques -manger de la chauve-souris en soupe par exemple, sinon du pangolin, voire boire du venin mélangé à du sang de serpent sous prétexte que c’est aphrodisiaque…), de connaître une dégringolade économique mondiale, s’il n’y avait pas eu un véritable péril en la demeure. » Consulté le 27/03/20.
  4. C’est plutôt bien expliqué dans cet article de Médiapart où différents spécialistes exposent leurs hypothèses. https://www.mediapart.fr/journal/international/220320/le-coronavirus-un-boomerang-qui-nous-revient-dans-la-figure. Extrait : « L’hypothèse la plus fréquemment avancée aujourd’hui est celle d’un virus hébergé par une famille de chauves-souris, qui aurait été transmis aux humains via les marchés d’animaux vivants à Wuhan, en Chine… Pour le chercheur en microbiologie et spécialiste de la transmission des agents infectieux Jean-François Guégan, la pandémie actuelle est « un boomerang qui nous revient dans la figure ». Modification des habitats naturels d’un côté, consommation de viande et de produits d’animaux sauvages de l’autre, massification du transport mondial…, les origines de la propagation du coronavirus sont liées à notre modèle économique et « n’ont rien à voir avec des causes strictement sanitaires », dixit le spécialiste ». Consulté le 27/03/20.

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